Le modèle économique français reposait sur deux murs porteurs : une économie de production pour tous les biens primaires, et un secteur à monopoles pour les grands services publics (transport, énergie, télécoms). La France, depuis 40 ans, a décidé de détruire ces deux murs porteurs pour entrer à la fois dans l’Union européenne et dans l’économie mondiale (Maastricht et OMC – Organisation Mondiale du Commerce).
Les résultats sont devant nous, la production de biens s’est effondrée : agriculture, automobile, acier, aluminium, etc. De plus, les grands monopoles publics ont été démantelés, privatisés et endettés (SNCF, La Poste, EDF, les Télécoms), et qu‘avons-nous reconstruit à la place ? Avant de répondre, il faut noter que nous avons décroché technologiquement et intellectuellement, et donc partiellement détruit la petite et moyenne entreprise. Pour compléter, il faut noter aussi que nous avons contaminé notre système par le syndrome de la ‘’rente‘’ ; ce système mis en place sous l’Ancien Régime avait pourtant été détruit par la Révolution, mais la technocratie bureaucratique l’a remis en vigueur de nos jours.
Depuis que la croissance française s’est essoufflée, les intérêts de la technocratie se sont dissociés de ceux de la production pour aller vers l’audit, la finance ou l’évènementiel ; et depuis 40 ans, la technocratie a pris son envol et pris le pouvoir sur le monde de la production qu’elle était censée servir. Cette technocratie a opté pour ‘’l’entreprise sans usines‘’ ; l’administratif et le financier ont relégué l’ingénieur et créé leur propre rente.
Si l’on se réfère à la période avant la Révolution, l'Ancien Régime représentait la quintessence de ce système de droits seigneuriaux : dîme, impôts directs et indirects, l’affermage étant le sommet du système ; le fermier général recevait du roi le privilège de recouvrer l’impôt et d’en garder le bénéfice moyennant le paiement d’un montant forfaitaire. Le système, en réduisant les recettes, contribua à son endettement et à la mort de la monarchie. Toutes les fonctions militaires ou juridiques pouvaient s’acheter de la même façon. Colbert étendit le système avec les manufactures royales et les compagnies de commerce colonial. Il se fait que de nos jours l’actuelle composition du capitalisme français s’apparente à ces mœurs d’Ancien Régime.
La désindustrialisation et la privatisation des anciens monopoles publics, l’apparition d’oligopoles dans le BTP – Bâtiment et Travaux Publics – et les Télécoms avec l’aide de la commande publique, reforge un système de rentes. Le financement de notre dette publique de 3,3 milliards d’euros est la plus grande d’entre elles (nous avons déjà payé 1680 milliards d’intérêts depuis 1975), et pendant ce temps l’agriculture, l’artisanat, l’industrie et le commerce s’étiolent. Les entreprises ont délocalisé pour des raisons de coûts de production, et les acteurs publics (en nombreuses couches chez nous) surinvestissent dans des équipements à crédit pour faire tourner l’économie (syndrome des ronds-points). D’ailleurs dans la France aux 50 000 fast–foods, il ne reste plus que 7000 restaurants classiques. Le chef-d'œuvre de la rente reste la privatisation des autoroutes déjà amortie au moment de la vente ; à l’époque le retour des fermiers généraux avait été évoqué.
Dans une économie qui a renoncé à produire, la rente est tout : péages, toilettes urbaines, panneaux publicitaires, niche des pompes funèbres, banques qui écrasent leurs clients sous les coûts des services ; les normes publiques sont des marchés inventés par l'État qui les concède à des acteurs privés, et ces normes asphyxient la libre concurrence et l’initiative.
Si nous étions restés dans la compétition industrielle et avions développé notre informatique et la net-économie, nous aurions obtenu une rentabilité bien supérieure à notre économie de rente actuelle. Or, nous avons technologiquement décroché sauf dans la Défense ; nous vivons donc à crédit et lourdement endettés. Ceci rappelle la période de fin de l’Ancien Régime ; l’heure des choix de société est sans doute revenue.
Guy Delsaut, président de l’Union bp